Résumé :
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La métaphore de l’entreprise (ses attendus, effets et corollaires) a désormais étendu son empire et son emprise à des espaces qu’on croyait jusqu’alors à l’abri, ou du moins à l’écart de la frénésie managériale, tels ces asiles où des existences précaires, incertaines, trouvaient encore à se réfugier ou à subsister malgré tout, tel l’espace de l’intime où l’individu, dès lors, ne semble plus pouvoir s’envisager autrement que comme une valeur dont il s’agirait d’accroître, de protéger ou de gérer les avoirs et autres investissements. Mais cette métaphore a aussi infiltré nos représentations, nos conceptions de l'homme souffrant psychiquement, dont l »approche, la considération, la façon dont on le traite sont aujourd’hui affectées d’un positivisme de mauvais aloi, où l’ombre nécessaire, l’énigme constitutive de toute subjectivité, ses agencements imprévisibles, aléatoires et singuliers sont examinés comme autant d’obstacles qu’il s’agirait de vaincre, de réduire ou d’écarter. Ce bouleversement, qui n’est pas sans évoquer des moments sombres de l’histoire de la psychiatrie et de l’humanité, paré de candeur, de naïveté mais aussi de l’obscène assurance de sa puissance, ne peut qu’être oublieux du travail de la pensée, c’est-à-dire, de ce cheminement patient et complexe au cours duquel l’homme s’appréhende en son humanité de son rapport aux autres et au monde, comme il ne peut qu’être oublieux de ce qui borde un tel cheminement, c’est-à-dire une éthique. Ainsi la psychiatrie, désormais captive des modèles médicaux, pharmacodépendante, soumise toujours plus aux injonctions économiques et idéologiques paraît à ce jour, ne plus se souvenir de la responsabilité qui, essentiellement, la détermine et lui incombe, à savoir : soutenir, malgré tout, le sujet et son symptôme. Pourtant, cet obscurcissement (ou la haine, quelquefois) de la pensée ne peut pas simplement être imputé à quelque malin génie ou à quelque passion mauvaise, mais nous appelle aussi à interroger la façon dont on accepte, voire parfois dont on prévient la mise à mal de toute condition de possibilité d’une pratique clinique digne du sujet, face à ce qui n’est déjà plus une simple menace, nous disons, en écho à ce qui, ici et là, déjà se fait entendre : ‘ça suffit !’ en sachant, toutefois, que le temps de la plainte est aujourd’hui dépassé. [Résumé d’auteurs]
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