Résumé :
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Il y a plus de trente ans, j’ai envoyé un texte à l’étranger pour la première fois. C’était une sorte de symptôme puisque le mot « étranger », dans une conception psychanalytique, pourrait signifier ce qui n’a pas été projeté dans le transfert ; et qui, selon une formule de Freud, « aspire à l’expression ». Ce travail parlait d’une impression curieuse ressentie dans le contretransfert : je comprenais tout ce que l’analysante disait mais j’avais l’impression que cela n’avait aucun sens (sans le savoir encore, je faisais l’expérience de la différence entre la signification et le sens que des philosophes [Frege] et des poètes [Bonnefoy] ont éclairée). Je comparais cette situation à celle d’une couturière mécontente qui palpe l’étoffe d’un tissu et qui pense : « Ma pauvre dame, que voulez-vous que je fasse de cette étoffe ? ». Mais, en opposition avec cette manière habituelle de parler, il y avait, de temps en temps, un « moment de style » caractérisé par une expression soudaine, vivante et singulière, qui ouvrait alors une perspective sur une représentation pré-consciente. Puis, immédiatement après, la pesanteur signifiante reprenait le contrôle de son discours. Ces flashs inattendus faisaient penser aux psychanalyses avec des enfants très malades (dont celles avec des états autistiques sans aucun langage) : dans ces dernières, en effet, l’analyste se repère sur de fugitifs « signes de vie » (l’ombre d’un sourire, un mouvement réprimé…) et non sur des représentations. Dans les deux cas, et à des degrés différents, on pouvait dire que le naufrage historique des représentations représentantes de la pulsion permettait néanmoins, dans le transfert, une émergence éclair d’une vie psychique, aussitôt déniée (la patiente adulte avait traversé une maladie psychosomatique sévère dans l’enfance).[Premières lignes]
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