Psychose post-traumatique : contribution à une théorisation dynamique du traumatisme aigu post-immédiat
Source | ENCEPHALE (n°5 cahier 1 vol 32) |
Auteur(s) : | BESSOLES Philippe |
Année de publication : | 2006 |
Pages : | 729-737 |
Mots-clés : | ANGOISSE ; ORIGINAIRE ; PSYCHODYNAMIE ; PSYCHOPATHOLOGIE ; PSYCHOSE POST TRAUMATIQUE ; SEMIOLOGIE PSYCHIATRIQUE ; SOMATISATION ; SOUFFRANCE PSYCHIQUE ; SYMPTOMATOLOGIE PSYCHOTIQUE ; THEORIE ; TRAUMATISME PSYCHIQUE ; VICTIME ; PSYCHANALYSE ; |
Résumé : |
Dans un ouvrage récent (2004), M. Bertrand souligne, en privilégiant l'approche psychodynamique, combien la question traumatique est au centre des nouveaux défis cliniques, méthodologiques et épistémologiques de la psychopathologie. Notre contribution de ‘ psychose post-traumatique' s'inscrit dans cette perspective, en référence aux sémiologies des traumatismes issus de situations extrêmes comme les victimes du tsunami en Asie du Sud (décembre2004), des attentats de Madrid (mars 2004) ou les prises d'otages en Ossétie du nord (septembre 2004). Quatre grandes thématiques principales nous conduisent à la proposition de psychose traumatique alors que la personne présente une structure psychique névrotique : 1. il n'y a aucune représentation traumatique et pas d'inscription psychique de l'événement, la sidération (et sa sémiologie confuso-stuporeuse) ou la fuite panique (accompagnée d'hallucinations ou de bouffées délirantes aiguës) illustre souvent ce premier aspect clinique ; 2. les processus psychiques ignorent, dans le référentiel psychodynamique, le principe plaisir/déplaisir, ils sont régis par la compulsion de répétition et l'‘envahissement ‘ d'affect de douleur ; 3. le modèle de la névrose et du conflit psychique ne sont pas opératoires pour gérer, sur le plan économique, les ‘ quanta d'affect ‘ et l'emprise pulsionnelle ; 4. il serait nécessaire d'ajouter, d'un point de vue psychopathologique, l'éclosion de délires transitoires, des conduites auto-vulnérantes et des comportements d'autolyse. Le référentiel d'une psychopathologie ‘descriptive' de type DSM IV (Acute Stress Disorder par exemple) nous paraît insuffisant pour rendre compte des enjeux post-traumatiques à l'œuvre. Si s'attacher à la sédation des symptômes est important, on ne peut ignorer les désorganisations psychiques qui génèrent une sémiologie que l'on rencontre essentiellement dans la symptomatologie des psychoses. Une première approche clinique permet de préciser l'argumentation de notre proposition de ‘psychose post-traumatique ‘. Elle s'étaye sur cinq grandes classes syndromiques : 1) la sémiologie est souvent celle d'épisodes délirants plus ou moins transitoires (idées et perceptions délirantes à thématiques persécutoires, cénesthésiques ou hypocondriaques), des confusions mentales (confuso-oniroïdes, anxieuses ou stuporeuses), des phases de déréalisation et dépersonnalisation, des vécus agoniques sévères, des troubles graves de l'unité corporelle, des clivages proches des dédoublements de type schizophrénique… ; 2) l'adhésivité marque l'impossibilité de mise à distance des victimes avec le traumatisme, les objets sont agglutinés, persécuteurs et adhésifs ; 3) la temporalité traumatique impose une omniprésence factuelle et actuelle du traumatisme, elle annihile les projections temporelles du patient ainsi qu'une reconstruction anamnestique; 4) le ‘ corps traumatique ‘ n'est pas celui des conversions de la psycho-névrose hystérique, la sémiologie somatique marque des fonctionnement de type opératoire (P. Marty) ; 5) la complaisance traumatique ne fonctionne pas au niveau des frayages conduisant à la formation de symptômes, la structure identitaire apparaît désorganisée par le démantèlement des enveloppements psychiques primaires. Une deuxième approche théorique permet d'argumenter cette psychopathologie post-traumatique immédiate de type psychotique. Quatre considérations de psychopathologie fondamentale étayent notre contribution : 1) l'inscription pictogrammique. Le traumatisme sévère ne produit pas la polarité nécessaire au processus d' ‘auto-engendrement' décrit par P. Aulagnier à propos des processus originaires. L'adhésivité traumatique ne sépare pas victime et trauma. Elle délite les espaces de médiation et de distanciation nécessaires à l'émergence des processus représentationnels. 2) L'affect de douleur. La douleur générée rappelle les expériences premières de détresse du nourrisson, les agonies primitives et les effondrements anaclitiques. Le ‘ contrat narcissique' est rompu et le patient vit sans ‘base secure ‘ ni contenant psychique suffisamment bon et étayant (D.W. Winnicott). 3) Le statut de l'angoisse. L'angoisse n'est pas de nature névrotique mais ' proprement ' néantisante. Elle est souvent analogique des angoisses catastrophiques des psychoses mélancoliques (H. Ey) ou des angoisses plus ‘ archaïques ‘ observées dans les pathologies hébéphréniques. 4) Le démantèlement corporel. Les effets du traumatisme se traduisent par des somatisations ‘ muettes non symbolisables ‘ (M. Bertrand). Elles se manifestent par des éprouvés sensoriels et sensitifs ‘ envahissants ‘ de type dermatoses, prurits, diarrhées, règles hémorragiques ou céphalées rebelles par exemple. Ces deux aspects cliniques et théoriques des formes sévères du traumatisme corroborent la visée traumatolytique inconsciente de l'anéantissement victimaire. Les formes sémiologiques les plus rebelles aux processus thérapeutiques semblent être celles où, si on se réfère aux prises d'otage ou aux actes terroristes, le patient a été mis en face d'un traumatisme ‘ non exécuté ‘ comme les pantomimes d'exécution ou les simulacres de pendaison. La dimension suicidaire apparaît comme l'ultime recours à ne pas sombrer dans la folie et à garder une position subjective face aux figures de la barbarie.[résumé d'auteur] |