Résumé :
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Nous tentons d'étudier en quoi, pour la schizophrénie, nous pouvons parler de pathologie de la Chair en rapport avec l'incapacité de certains malades à Sentir. Le Sentir est un acte pré-intentionnel qui ne se résume pas à la pure passivité de la réceptivité. Il est aussi un acte noétique qui introduit distance et différenciation entre le Soi et l'Autre. Cet acte au fondement du rapport au monde et des relations aux autres est fragilisé chez les patients souffrant de schizophrénie. En référence à Merleau-Ponty, la Chair renvoie à la capacité ou à l'incapacité qu'a le patient de s'inscrire comme être-en-relation avec le Soi, avec autrui et avec le monde. Comme espace externe, elle renvoie au monde, et comme espace interne, elle renvoie au vivant. On parle de ' corps propre ', de ' corps vivant ' ou, avec Husserl, de Leib. Chair et Leib appartiennent à ce qui est senti avant d'être pensé, au monde de la vie. Cette double appartenance au vivant et au monde nous permet de rapprocher ces deux notions de la notion d'Aida que l'on trouve chez Kimura. Aida est un espace virtuel de relation tant sur le versant de la constitution d'un Soi que sur celui de la constitution du monde. Pour Kimura, la schizophrénie est une ' pathologie d'Aida ', provenant d'une relation défaillante entre le Soi et le fond de la vie et transformant par conséquent les relations que le patient peut avoir avec les autres ainsi que son rapport au monde. C'est le rapport principiel au fond de la vie qui, d'après Kimura, permet la constitution de l'ipséité. Or dans la schizophrénie, ce premier rapport ne permet pas une constitution satisfaisante du Soi, induisant une temporalité et une spatialité perturbées. D'abord, les intentionnalités de la conscience subissent des flexions, ensuite les modes de spatialisation se confondent. La confusion de deux espaces serait à l'origine, pour Straus, d'une part, du repli autistique sur le monde personnel ou idios cosmos des patients et, d'autre part, du rationalisme morbide, ces deux phénomènes conduisant à la perte du Sentir comme mode d'entrée en relation avec le monde commun ou koinos cosmos et, par conséquent, à une difficulté à s'inscrire dans la Chair du monde. Ces phénomènes, certes visibles à l'entretien clinique, sont significativement repérables au test de Rorschach. Sur le plan clinique, cette approche ouvre sur la mise en place d'un Aida thérapeutique permettant au patient de redéfinir l'espace et le temps qui lui permettraient de s'inscrire dans le champ du Sentir et donc dans un espace commun de relation que le thérapeute apporte en même temps que le patient. C'est pourquoi nous pourrons observer les modes de constitution propres à l'être-schizophrène et ce que leur compréhension peut apporter à la clinique.[résumé d'auteur]
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