Résumé :
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La psychopathologie des migrants est généralement rapportée soit à une étiopathogénie originelle, soit aux conditions traumatiques de la migration, soit aux contraintes d'adaptation au pays d'accueil. Alors que de nombreuses recherches font état de taux d'admission en hôpital psychiatrique nettement plus élevé chez les immigrants que chez les autochtones, peu d'études reposent sur la discrimination des sains et des malades dans une population d'immigrants. Cette recherche pose l'hypothèse que la trajectoire, variable interculturelle définie comme l'ensemble des modalités temporelles et spatiales d'intégration de la migration aux choix familiaux, constitue un facteur associé à l'étiopathogénie dans la migration. Dans le cadre d'une étude des facteurs de risque et des facteurs associés à des pathologies mentales avérées (140 variables), cette hypothèse a été éprouvée sur une population émigrée dans le Sud de la France d'hommes nord-africains sains et malades, au moyen d'un questionnaire construit et appliqué suivant une méthodologie de psychologie interculturelle. Le traitement des résultats par ACP et AFC a distribué les variables selon deux principaux axes factoriels, monoculturel (pays d'accueil [PA] vs pays d'origine [PO]) et interculturel (insertion vs intégration) révélant l'existence de quatre groupes (hyperadapté, marginalisé, inséré et intégré). Ils se caractérisent par leurs modalités d'inscription de la migration dans les choix familiaux qui sont apparues directement liées à la morbidité mentale. Les résultats obtenus indiquent que ce n'est pas l'émigration en tant que telle qui peut constituer un trauma mais bien son intégration dans un projet familial (trajectoire) qui garantit une stabilisation ou entraîne une rupture d'équilibre compromettant la santé mentale sous les effets pathogènes cumulés des pressions maritales et acculturatives. De plus, il apparaît que le poids étiopathogénique de la contradiction entre les normes culturelles reste dépendant de la culture considérée comme référence par le sujet. Le choix biculturel de fait (forte adoption concrète des valeurs du PA malgré l'origine, dans le groupe hyperadapté) est facteur de santé alors que le choix biculturel contrarié (très faible adoption des valeurs du PA par nécessité, le PO restant le référent, dans le groupe marginalisé) est facteur de risque. Les choix relevant de l'inscription de compromis interculturels dans la structure familiale (interculturation) présentent une nette efficacité sanitaire (groupe intégré). Ces résultats déplacent fortement l'évaluation des effets morbides de la migration qui oscille généralement entre l'attribution directe d'une fonction étiopathogénique au fait migratoire et une qualification intrinsèquement morbide, dans le cas des pathologies d'apport. L'existence de troubles psychopathologiques chez les migrants s'avère corrélée à la façon dont ils articulent choix familiaux et migration. Ainsi, la trajectoire semble être une réponse crasique vs dyscrasique apportée par le sujet à la rupture de filiation symbolique imposée par la migration.[résumé d'auteur]
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