Le syndrome de Diogène, une approche transnosographique
Source | ENCEPHALE (n°4 vol 30) |
Auteur(s) : | HANON C ; PINQUIER C ; GADDOUR N ; SAID S ; MATHIS D ; PELLERIN J |
Année de publication : | 2004 |
Pages : | 315-322 |
Mots-clés : | COLLECTIONNISME ; DELIRE ; DEPRESSION ; DIAGNOSTIC MEDICAL ; ENVELOPPE PSYCHIQUE ; PERSONNE AGEE ; PRISE EN CHARGE ; TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF ; |
Résumé : |
On désigne par syndrome de Diogène un comportement acquis du sujet âgé, marqué par une extrême négligence de l'hygiène corporelle et de l'habitat, un repli sur soi avec refus de l'aide extérieure, et par une tendance à l'accumulation d'objets hétéroclites au domicile. Ce syndrome représente une entité clinique gériatrique particulière et de description relativement récente, puisque les deux articles princeps, par 2 psychiatres puis 2 gériatres, remontent à 1966 et 1975. Sa rareté contraste avec une notoriété qui doit autant à l'emprunt du nom du célèbre philosophe qu'à son caractère hors du commun. Il suscite toujours une fascination pour le clinicien confronté à ces patients vivant dans des conditions aberrantes, en marge de la société et en dehors du temps, n'ayant aucune critique de ce mode de vie et aucune demande d'aide. Ces patients sont découverts le plus souvent de façon fortuite, soit au décours d'une pathologie somatique, soit suite à une intervention sociale secondaire à leur comportement. La prise en charge de ces patients qui ne demandent rien est difficile et soulève des questions éthiques. De plus, l'évolution est grevée d'une mortalité extrêmement importante, estimée à 46 % dans les 5 ans. En dehors des situations mettant en jeu le pronostic vital, l'hospitalisation doit être évitée autant que possible au profit de solutions ambulatoires et de mesures sociales. La prescription de traitements psychotropes peut être nécessaire et dépend du tableau clinique et de la pathologie psychiatrique éventuellement retrouvée. Bien que plusieurs hypothèses cliniques aient été émises, la question d'un substrat étiopathogénique à ce trouble reste ouverte. La plupart des auteurs s'accordent pour dire que ce comportement n'est pas le reflet de l'expression du libre arbitre et par conséquent n'aurait aucun rapport avec le philosophe grec, Diogène de Sinope, qui enseignait le cynisme et le retour à la vie naturelle. Les critères diagnostiques développés n'ont pas fait l'objet de consensus, ils reprennent les principaux éléments qui définissent le syndrome et excluent pratiquement tout syndrome psychiatrique. Clark et Mankikar, les auteurs qui ont dénommé ce syndrome, pensent qu'il s'agit soit d'un mode de défense du sujet âgé en réaction à un stress, soit d'une évolution naturelle liée au vieillissement. Cependant, diverses pathologies psychiatriques et neurologiques ont été retrouvées associées au syndrome de Diogène. Dans la littérature, il est ainsi décrit des cas de psychoses paranoïdes, de psychoses paranoïaques, de troubles de l'humeur et de troubles obsessionnels compulsifs. L'addiction à l'alcool semble davantage un facteur aggravant qu'un facteur précipitant. La présence d'un syndrome de Diogène doit également faire rechercher une pathologie démentielle et notamment une démence fronto-temporale. Finalement, le rôle de ces pathologies dans la genèse de ce trouble reste indéterminé : s'agit-il de facteurs déclenchants, comorbides ou étiologiques ? Doit-on parler de ce syndrome en tant que ' maladie ' ou en tant que ' symptôme ' ? Nous proposons d'aborder le syndrome de Diogène comme un trouble du comportement et d'en distinguer 2 types : le syndrome de Diogène ' actif ' et ' passif '. Les patients ' actifs ' entassent dedans ce qu'ils récoltent dehors et remplissent leur intérieur pour combler le vide d'une existence qui se dégrade et qui perd son attrait narcissique. Les patients ' passifs ' se font envahir passivement par leurs déchets et se laissent déborder par les accumulations qui s'entassent par défaut, par manque. Enfin, dans une démarche de compréhension psychopathologique de ce comportement, nous nous référons aux théories psychanalytiques du Moi-peau décrites par Anzieu. Le Moi-peau représente une structuration de l'appareil psychique fondée sur le principe que ' toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental '. La peau recouvre alors 3 fonctions : celle d'enveloppe contenant, celle de barrière protectrice du psychisme et celle de lieu d'échanges. Le Moi-peau est organisé en ' double paroi ', à la fois barrière (mécanismes de défense psychiques) et filtre (entre le psychisme et le monde extérieur) et préserve ainsi la relation et la cohésion ' contenant-contenu '. Lorsqu'une blessure narcissique intervient, le Moi-peau s'altère et perd sa fonction de contenant. Dans le syndrome de Diogène, les objets accumulés viennent ' suturer ' ce Moi-peau et le logement devient de nouveau ' étanche ', et par la même occasion s'oppose à toute intervention extérieure. Ce comportement revêt donc une fonction de suture psychique, de colmatage mais aussi et surtout une fonction vitale, comme un ' aménagement pour la survie '.[résumé d'auteur] |